Pourquoi pas de sièges éjectables pour les avions de ligne?

Ouèssè ADA 02 Sep 2022 03:10 Aéronautique

La question des sièges éjectables pour les avions de ligne est un sujet qui revient beaucoup de fois. Les avions de chasse en sont équipés, ce qui permet au pilote de s'éjecter en cas de danger en vol (mayday). Pourquoi alors ne pas en mettre aussi sur avions de ligne pour sauver non pas une ou deux, mais des centaines de vie en cas de d'urgence? Eh bien, la vie des passagers comptent bel et bien aux yeux des ingénieurs aéronautique, mais c'est bien plus difficile à appliquer que ç'en a l'air. Comprenons ensemble pourquoi les avions de ligne n'en sont pas équipés malgré les multiples critiques et suggestions au cours des années.
Il n'y a pas mal de raisons, je vais les diviser en plusieurs catégories afin que vous compreniez mieux. Serrez les ceintures, c'est parti.


martin baker seat
Un siège éjectable Martin Baker; le mk16 monté sur l'avion de chasse eurofighter


Un peu d'histoire d'abord
Au début de l'aviation, les avions volaient très bas et à faible vitesse, donc en cas de problème, le pilote n'avait qu'à sauter et espérer éviter trop de blessures. Mais avec l'ère du jet, c'était vraiment impensable. Lors de combats, surtout durant la première guerre mondiale, les ingénieurs ont commencé à réfléchir sur des systèmes permettant de sauver la vie du pilote lorsque l'avion était abattu en l'air ou intercepté par un projectile Air-Sol. Les premières idées tournaient plus sur des systèmes de lancement vers le bas grâce à des ressorts, mais cette idée fut sans succès. C'est l'industrie britannique Martin-Baker qui a réussi à finalisé un système d'éjection fonctionnant pratiquement comme on le connait aujourd'hui, et c'était après la seconde guerre mondiale. Le premier test de vol d'un Martin Baker a eu lieu Juillet 1946. Rappelons que les industries Mikoyan et Zvezda de l'union soviétique ont aussi réussi à développer des sièges éjectables dans la même période. Mais comme je le disais, et vous l'avez remarqué une fois de plus dans l'historique, ceci ne concerne que l'industrie militaire. Pour les avions civils, voilà les principales raisons pourquoi il n'y a jusqu'à présent pas de sièges éjectables.


les premiers vols
Les premiers vols, _très basse altitude_


QUESTION DE COMBINAISON
Remarquez que les pilotes de chasse ont des combinaisons spéciales pour résister aux grandes vitesses de plus de 800km/h et à la dépressurisation, et à l'augmentation relative de la pesanteur, plus de 8G. Ils se font même aider pour pouvoir les porter avant de monter dans le cockpit. Imaginez un instant qu'on demande aux passagers qui embarquent dans un avion de ligne, très bien habillés, d'enfiler des combinaisons encombrantes, lourdes et suffocantes pour faciliter l'éjection en cas d'urgence. Je pense pas que les passagers accepteront de mettre des combines à bord. Et s'ils refusent, ils n'auront jamais le temps de les enfiler à bord si c'est vraiment une situation extrême qui nécessite l'usage des sièges éjectables. Une fois que le toit s'ouvre, l'avion va se désintégrer quelques secondes après.


pilote qui s'éjecte
Un pilote de chasse qui s'éjecte; remarquez la violence de l'impact


QUESTION DE FORMATION
Les pilotes des avions de chasse sont extrêmement formés. Ils savent garder le calme même en cas d'urgence, et savent comment s'éjecter. Ce qui n'est pas le cas pour les civils, ils n'y connaissent rien, ça va déjà compliquer les choses. Il ne suffit pas de s'éjecter, il faut atterrir après. Et on ne devient pas parachute aguéri avec quelques minutes d'astuces avant un vol. Certains vont déployer le parachute très tôt et mourir en altitude, d'autres vont tellement avoir peur qu'ils vont s'évanouir après l'éjection , ils ne vont donc pas déployer le parachute, et c'est pour s'écraser au sol. D'autres vont oublier de le déployer dans la joie d'avoir échappé au désastre de l'explosion de la cabine après l'éjection. Certains vont rencontrer des difficultés parce qu'ils ont négligé la démonstration des membres de l'équipage au sol avant le décollage


combinaison de pilote de chasse
Une combinaison pour les pilotes de chasse



FAISABILITE
Les avions de chasse sont relativement petits, et la surface du cockpit s'ouvre rapidement. D'ailleurs, L'éjection suppose de passer au dessus de la dérive, alors que pour les avions de ligne, elle est plus longue que celle des avions de chasse. Beaucoup de passagers vont se cogner entre eux, d'autres vont heurter les ailes s'ils ont eu la chance d'éviter les réacteurs, certains seront pièges par l'empennage. De plus, Il faudrait prévoir une ouverture pour l'éjection au dessus des sièges. Il faut donc que le fuselage soit extrêmement résistant pour ne pas se désintégrer en vol en haute altitude les secondes après l'ouverture du toit, avec la différence de pression et la vitesse élevée. Mais en même temps, que fait-on pour les avions à deux niveaux, comme le A380, le B747. Qu'est ce qu'on fait pour les passagers qui sont en bas, on les sacrifie?


A380
le gros porteur A380. Remarquez qu'il a deux niveaux pour les sièges, (haut et bas) et sa dérive est très haute avec une très grande envergure


CONDITIONS EXTERIEURES
En altitude de croisière, les avions de ligne volent généralement à 35000ft, autour de 12km et il fait très froid. La température extérieure est d'environ -50°c. En cabine, il y a une pressurisation qui permet de respirer, parce que la pression extérieure descend à 240hPa. Pourtant nos poumons sont habituées à la pression atmosphérique, 1013hPa. C'est la mort assurée pour des amateurs sans combine.


atmosphere et evolution de temperature
L'évolution de la température dans l'atmosphère terrestre; remarquez le niveau de vol des avions


TEMPS ET PANIQUE
Maintenant, si on n'oublie le fait d'ouvrir le toit et qu'on équipe les sièges de parachutes pour que les passagers sautent, il y'a encore les conditions extérieures à prendre en compte. De plus, il va falloir que les passagers sautent un à un comme lors des opérations parachutistes militaires, à intervalle plus ou moins régulier. Ceci est pratiquement impossible pour les civils. Une fois de plus, pris de panique, tout le monde voudra sortir le plus vite possible. (en pensant premier sorti premier sauvé). Les gens vont se heurter, se bousculer, essayer d'empêcher les uns de passer ou de sauter avant eux.


des parachutistes militaires
Parachutistes militaires, alignés et parés au largage


QUESTION D'ARGENT
On aime pas trop l'évoquer, mais c'est très souvent l'obstacle numéro 1. Un bon parachute neuf coûte environ 5 000 euros. Imagine un avion de 300 passagers, ou 800 passagers pour le superjumbo jet A380. Ca fait des millions d'euros juste pour équiper les avions. Le siège comporte plus de 3000 pièces,pèse près de 100kg. C'est à peu près le poids moyen d'un passager et tous ses bagages compris (c'est comme si les passagers avaient déjà embarqué alors qu'ils ne sont même pas encore à bord, ni les bagages convoyés). On arrive à une situation ou prend indirectement le double de la charge utile, soit deux fois plus de carburant à prévoir. De plus, un siège éjectable nécessite une maintenance vraiment régulière, il faut s'assurer qu'il est opérationnel. Inutile de vous rappeler que les maintenances et les tonnes de kérosène qui s'en suivent reviennent très chères aux compagnies aériennes. ça fait beaucoup de dépenses, alors que statistiquement parlant, les cas d'urgence arrivent très très rarement. Et de nos jours, les technologies de sécurité aéronautique sont aussi développées que quand une urgence arrive (pas plus d'une fois par an d'ailleurs), elle n'est pas tellement extrême au point où on ait besoin de faire recours à des sièges éjectables.


euros

Une mince lueur d'espoir
Pour les avions légers, il y a déjà des systèmes de parachute qui peuvent être déployés et ralentir l'avion si toutefois il y a un souci en vol et que l'aéronef tombe. En 2016, Vladimir Tatarenko, un ingénieur russe proposa un brevet permettant de détacher la cabine en vol pour les aérodynes aussi , et de la recueillir au sol grâce à des parachutes plus grands, des rétrofusées et des flotteurs. (un article précédent parle des aérodynes pour ceux qui ne comprennent pas le terme)
Le problème est que cela imposerait une structure particulière à tous les avions, un empennage élevé, des ailes plus hautes. Outre ce problème de design qui ne peut visiblement pas être un obstacle au regard de l'idée noble qui est derrière, il y'a d'énormes risques d'explosion à cause des rétrofusées ou même d'adhésion du fuselage à cause de la compartimentation, qui va nécessiter plus de temps de maintenance et clouer les avions au sol plus longtemps encore. Mais c'est déjà une bonne idée, reste à trouver d'autres alternatives. Rien n'est jamais impossible en matière de technologie avancée. Pour plus de détails sur le projet de Tatarenko, je vous invite à lire cet article de MyFlightway


avion parachuté
Un ULM parachuté



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