Le belly landing ou la reptation funeste des avions

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Vous est-il déjà arrivé de voir un avion, en atterrissage, ramper sur la piste tel un reptile apode ?
Ce scénario à la fois exceptionnel et funeste est connu dans le jargon aéronautique sous le nom de belly landing, atterrissage sur le ventre ou atterrissage train rentré en français. Le belly landing est un atterrissage où un aéronef, généralement un avion, à train d’atterrissage rétractable se retrouve à atterrir sans que celui-ci (train avant et/ou principal) ne soit déployé pour maintes raisons. Il est important de noter qu’il existe une subtilité entre les termes « atterrissage train rentré » et « atterrissage sur le ventre », le premier correspondant à la situation où le pilote a tout simplement oublié de déployer le train d’atterrissage et le second lorsque le train n’est pas déployable du fait d’un dysfonctionnement. En tout état de cause, la manœuvre est extrêmement délicate, mais peut l’être encore plus dans la première situation étant donné le retard de décision ou même le manque d’appréhension de la situation par le pilote.

Dans cet article, nous examinerons d’abord les causes de ce type d’atterrissage extraordinaire, ensuite nous évoquerons les solutions adoptées (ou entreprenables) pour prévenir (ou gérer) le belly landing, avant de nous intéresser à la technique de la manœuvre et enfin remonter l’histoire pour voir des exemples.

Attention ! Nonobstant la nuance ci-dessus mentionnée, l’usage des termes « belly landing » ou « atterrissage sans train » seront équivalents et indiqueront la manœuvre peu importe la cause.


Causes du belly landing

Les causes du belly landing sont légion mais elles relèvent généralement de l’une des possibilités suivantes.

Erreur humaine

L’erreur humaine est l’une des causes les plus fréquentes du belly landing. Il peut s’agir de l’oubli total, la distraction ou l’inadvertance.
Quand bien même le déploiement du train d’atterrissage figure en bonne place dans la check-list d’atterrissage, il peut arriver que le (s) pilote (s) oublie (nt) de le faire par négligence des procédures écrites en tentant de les exécuter par cœur. Mais si le rituel contrôle des procédures d’atterrissage est scrupuleusement respecté, le risque d’atterrir train rentré est dans ce cas minimisé.
Décidément, il n’y a pas que les imprudents qui sont sujets à l’erreur, même les plus prudents le sont aussi. En effet, malgré l’attention et la volonté des pilotes de suivre la check-list, ils peuvent souvent être distraits et ainsi oublier de l’exécuter ou interrompre son exécution à cause d’une situation d’urgence survenue subitement. C’est l’exemple de ce pilote de Mooney M-20 distrait par des kangourous sur la piste d’atterrissage de l’aéroport d’Exmouth en Australie en 2014 qui va oublier de sortir le train d’atterrissage. La même année, en Australie, cet autre pilote aux commandes d’un Cessna 210 sera préoccupé par le fonctionnement irrégulier du moteur et des problèmes électriques, et ne se rendra pas compte que le train d’atterrissage n’était pas sorti.
Une autre situation qui s’apparente à de la distraction et qui détournerait l’attention d’un pilote de constater l’état du train d’atterrissage est la tunnelisation ou l’effet tunnel. Il s’agit d’un phénomène d’attention sélective qui se manifeste par une focalisation sur un détail tout en perdant de vue l’ensemble de la situation. Par exemple, une alarme qui se déclenche ou un affichage anormal sur le tableau de bord peut se retrouver être le seul et unique souci du pilote, oubliant ainsi qu’il est en approche finale et qu’il doit sortir le train d’atterrissage.
L’inadvertance peut aussi expliquer le belly landing, en particulier lorsqu’on rétracte accidentellement le train d’atterrissage après son déploiement. C’est ce qui est arrivé , le 6 juillet 1944, à ce B-17 Dutchess’ Daughter initialement posé normalement mais plus tard, le copilote actionne l’interrupteur de rentrée de train. En conséquence, le train s’affaissera et le reste du roulage devient du belly landing.

Le Boeing B-17, Duchess’ Daughter après le belly landing - @Wikipédia

Pannes

Les pannes sont souvent l’origine de l’atterrissage sans train et sont d’ordres divers. Elles sont généralement de nature mécanique ou électrique, la majorité des trains d’atterrissage étant actionnés par des moteurs électriques ou des vérins hydrauliques. Par exemple, selon la base de données de l’Australia Transport Safety Bureau (ATSB), ce sont entre autres la défaillance d’un solénoïde électrique dans le verrou de sortie, le moteur de train d’atterrissage défectueux, la défaillance d’un raccord hydraulique sur la conduite de pression du train d’atterrissage, l’usure de la porte du train d’atterrissage, la rupture de l’actionneur du train gauche, un nid de guêpes bloquant l’orifice statique de la tête motrice du train d’atterrissage, un micro switch bloqué dans le système du train d’atterrissage, la défaillance d’une goupille de retenue permettant à l’axe de pivotement du train d’atterrissage de se déloger, etc.
Ci-dessous un cas d’atterrissage catastrophe sur le ventre à cause d’une panne mécanique.

Un A-10 après un belly landing à la base Edwards Air Force - @Wikipédia

L’apparition de certaines pannes, bien que n’affectant pas le train d’atterrissage, peut occasionner un atterrissage d’urgence en l’occurrence le belly landing si toutefois un atterrissage normal risquerait de compliquer la situation. C’est très généralement le cas d’atterrissage sur un sol meuble ou sur l’eau (amerrissage). A titre d’exemple, le 15 janvier 2009, un Airbus A320 de la compagnie US Airways ayant subi une double panne moteur, a effectué un belly landing réussi sur le fleuve Hudson.

Vidéo – Amerrissage sur le fleuve Hudson - @Extrait du film Sully

Belly landing « autonome »

C’est certainement le cas le plus insolite du belly landing. L’atterrissage sans train dit « autonome », n’est pas un terme consacré, mais nous avons désigné ainsi la situation où l’avion atterrit seul avec son train rentré. Ce rarissime et spectaculaire scénario survient après que l’équipage ait abandonné l’avion en vol. En 1970, un Convair F-106 Delta de l’United States Air Force pris dans une vrille, se retrouve sans pilote après l’éjection de ce dernier. Par la suite, la vrille s’est stabilisée et l’appareil tout seul va voler encore sur plusieurs kilomètres avant d’atterrir sans train ou du moins s’écraser dans un champ près de Big Sandy dans le Montana. Cornfield Bomber, puisque c’est ainsi que l’on a surnommé l’avion après l’accident, a été réparé et remis en service. Aujourd’hui, retiré de service, il est exposé au Musée national de l’Armée de l’air des États-Unis.

Le Cornfield Bomber sur le site du crash - @Wikipédia

Solutions

De nombreuses solutions ont été déjà adoptées par retour d’expérience après plusieurs incidents de belly landing.
Pour prévenir l’oubli de déploiement du train d’atterrissage, les pilotes disposent d’un manuel de procédures de vol qui dicte l’ordre d’exécution des actions dont la sortie du train. Cependant, l’imprudence ou l’excès de confiance n’empêcheront pas certains pilotes de se passer du manuel. Également, pour réduire le risque d’oubli, les aéronefs disposent désormais d’un moyen d’indiquer l’état du train d’atterrissage. Généralement, ce sont des voyants lumineux qui changent de couleur, virant du rouge à l’orange puis au vert, dépendamment de l’état du train, qu’il soit rentré, en transit ou sorti. Nonobstant cela, un pilote distrait peut toujours oublier de vérifier l’état de ces voyants. Il a alors été pensé un système de sécurité supplémentaire qui consiste en une alarme qui se déclenche quand le train d’atterrissage n’est pas déployé et verrouillé, et que la puissance des moteurs est en deçà de celle en croisière signifiant que l’on est en approche finale. Toutefois, cette alarme ne résout pas entièrement notre équation à variable complexe qu’est l’humain. En effet, il arrive que les pilotes confondent l’alarme du train d’atterrissage avec celle de prévention du décrochage ou ne l’entendent tout simplement pas parce qu’ils ont porté des casques antibruit modernes.
Dans certains avions de ligne, le système d’avertissement ne tient pas compte de la puissance des moteurs mais plutôt de l’état des volets. S’ils sont déployés pour l’atterrissage alors que le train n’est pas sorti, le système se déclenche. Un autre type de système s’appuie sur l’avertisseur de proximité de sol ou l’altimètre radar pour déclencher l’alerte. De nos jours, la quasi-totalité des avions de ligne disposent même d’une voix robot qui résonne clairement dans le cockpit en ces termes : « GEAR NOT DOWN » (Train non sorti, en français).
Une solution ultime à l’oubli repose dans l’élégance technologique de certains avions qui s’opposent à leur ralentissement à la vitesse d’atterrissage sécurisée tant que la trainée aérodynamique du train sorti ne se ferait pas ressentir.
L’avancée technologique a permis de venir à bout de l’inadvertance. Pour éviter des situations comme celle du B-17 Dutchess’ Daughter, des systèmes de verrouillage et de protection efficace des atterrisseurs sont mis en place en sorte que l’atterrisseur principal ne soit rétractable que lorsque le poids de l’avion n’est plus ressenti sur les roues.
Pour réduire le risque de blocage de l’atterrisseur du fait d’une défaillance électrique ou mécanique, c’est la redondance des systèmes, concept clé du domaine aéronautique, qui entre en jeu. Ainsi, pour éviter qu’une seule défaillance ne compromette l’efficacité de tout le système, plusieurs sources peuvent potentiellement alimenter le système qu’il soit électrique ou hydraulique. En cas de défaillance du système d’alimentation, il existe toujours un système d’extension de secours comme une manivelle, une pompe manuelle ou un mécanisme manuel permettant de libérer l’atterrisseur par gravité.
Une toute autre solution pour rendre le belly landing plus sûr et serein est d’ordre conceptuel. En effet, certains avions comme l’A-10 Thunderbolt II a ses roues principales rétractées qui sortent de leurs nacelles, en sorte que l’avion roule « virtuellement » lors d’un atterrissage sans train.


Technique de la manœuvre et délicatesse

La manœuvre est très délicate et le niveau de risque très élevé avec une possibilité d’incendie (si de la mousse n’a pas été au préalable pulvérisée sur la piste), d’endommagement structurel de l’avion, de blessures des occupants voire la mort.
Vu sa délicatesse, la manœuvre doit être minutieusement orchestrée en respectant les étapes suivantes :
• Alignement par rapport au sol : Il faut atterrir en sorte que l’avion touche le sol avec les ailes parfaitement horizontales afin d’éviter qu’il bascule ou se disloque ;
• Descente : Avoir une vitesse et un angle de descente corrects pour minimiser les forces d’impact ;
• Déploiement des surfaces aérodynamiques : Bien gérer les volets, les becs de bord d’attaque et les autres surfaces aérodynamiques pour éviter de décrocher à faible vitesse ;
• Freinage : Il se fait grâce à la trainée aérodynamique et aux inverseurs de poussée. Utiliser les freins de roue si l’un des atterrisseurs principal ou avant n’est pas retracté, sinon ils ne serviront à rien !


Exemples

L’aviation a connu de nombreux belly landings qu’on ne peut pas énumérer de façon exhaustive.
Voici quelques-uns :
• 13 juin 1991 : Vol Korean Air 376 (HL7350) ;
• 4 juillet 2000 : Vol Malév 262 ;
• 8 mai 2006 : B-1 Lancer de United States Air Force ;
• 1er novembre 2011 : Vol LOT Polish Airlines 16 ;
• 22 mai 2020 : Vol Pakistan International Airlines 8303 ;
• 23 juin 2023 : Boeing 717 de Delta Airlines ;
• Etc.

Belly landing du B717 de Delta Airlines - @WSB Radio

Vidéo – Belly landing LOT Polish Airlines 16 - @Aviation Explorer/ YouTube


En résumé, le belly landing est une manœuvre redoutée être délicate en matière de pilotage. A sa kyrielle de causes, il y a autant de solutions préventives ou atténuantes dont les systèmes de redondance et d’alerte, la formation des équipages et l’avancée technologique. Malgré tout, des cas de belly landing surviennent toujours, surtout lorsque les couches de défense du modèle du fromage suisse de James Reason se superposent avec leurs failles individuelles alignées. Le dernier incident en date remonte au 29 décembre 2024 lorsqu’un Boeing 737-800 de Jeju Air 2216 a fait un belly landing funeste à l’aéroport de Muan, en Corée du Sud. La cause serait une défaillance du train d’atterrissage suite à une collision aviaire. L’appareil ne pourra pas être stoppé dans les limites de la piste, va percuter un talus en fin de piste et s’enflammer tuant 179 de ses 181 occupants.



Sources

https://en.m.wikipedia.org/wiki/Belly_landing
https://www.insightsonindia.com/2025/01/01/belly-landing
hhttps://www.flightsafety-belly-landing
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